Une biche me passe à moins de 10m, je ferme les yeux en priant pour qu’elle ne me voie pas. Les secondes s’égrainent, elle s’avance et continue son chemin sans me repérer, la chance est définitivement de mon côté ! Le 16 cors remonte d’une quinzaine de mètres, se faufilant entre la dense végétation et se cache derrière un bosquet. Il est rattrapé par sa crise de folie, s’attaquant cette fois aux mélèzes ; je vois des branches projetées dans les airs, virevoltant dans tous les sens. Les biches, quant à elles, semblent vouloir passer au-dessus de ma position, dans une petite prairie ouverte. Il ne me reste plus qu’à espérer que le 16 cors leur emboîte le pas et se sente suffisamment en confiance pour quitter les fameux mélèzes protecteurs.
Le temps passe, la luminosité commence à baisser lentement mais sûrement. Le compte à rebours avec le temps a commencé… Il me reste tout au plus une heure pour tenter de l’attirer dans mes filets et enfin avoir l’honneur de le photographier. Immobile, bien camouflée, je guette le moindre mouvement dans les bosquets, retenant ma respiration. Et lorsque l’espoir s’amenuise, laissant le doute s’immiscer cruellement, le voilà qui émerge enfin, suivant une biche un peu en retrait. Elle s’élance dans ma direction pour le fuir, pas encore prête à se laisser séduire. Il avance d’un pas décidé et, quelques secondes plus tard, sort précautionneusement sur la prairie, fier et conquérant !
Il est à moins de 20m, une intense émotion m’assaille ; mes bras tremblent et je peine à maintenir l’objectif immobile. Il entend les premiers clics de l’appareil, regarde dans ma direction, curieux et en alerte. Je n’ose appuyer sur le déclencheur, savourant cet intense tête à tête entre l’homme et l’animal sauvage. Un instant d’intimité que je ne veux gâcher pour rien au monde, souhaitant ardemment que les secondes durent des heures. Il continue son chemin, tirant la langue dans une grimace provocatrice. Je me risque enfin à l’immortaliser mais son expérience ne le trompe pas : il a bien compris qu’un intrus l’observait. Il traverse en quelques lentes foulées la prairie, longue d’une vingtaine de mètres et se met à couvert derrière un groupe de mélèzes fourni. Son regard, sa prestance, ses bois impressionnants, il est sans conteste le roi de la forêt. Il m’a conquise, me laissant rêveuse.
Je l’attendrai encore un moment, espérant son retour mais ce beau mâle est malin, on ne l’y reprendra pas à deux fois. Il repassera, certes, mais bien à l’abri des mélèzes, une soixantaine de mètres plus haut, hors de portée. J’aurai l’immense privilège de le retrouver, par surprise, 1 semaine plus tard, errant sur les pâturages avec sa harde en plein après-midi et bien loin de l’endroit de notre première rencontre. Les balles des chasseurs, chargés de réguler biches et faons, l’ont forcé à quitter sa place de brame. En fuyant en zone protégée, il a sauvé la vie de ses dames et a assuré sa descendance. Force, puissance, élégance, il me tarde de découvrir, au printemps, le résultat de ses amours. Monsieur 16 cors, ma légende d’automne.